Le chant des sirènes technologiques

La technologie est désormais partout, en particulier celle liée au numérique. Une révolution s’est opérée en un temps historiquement court : en moins de 20 ans, le monde entier s’est retrouvé interconnecté [1]. Ma fille de 17 ans ne comprend pas : « Mais comment faisiez-vous avant ? » me dit-elle en me regardant comme un dinosaure dégarni à lunettes.

Ces technologies ont bouleversé notre quotidien, s’y sont immiscées intimement. Au point même de parfois créer une dépendance. Logique puisqu’un iPhone peut très bien satisfaire nos besoins en interaction et en stimulation et assouvir notre éternelle quête de plaisir [2]. Prochaines étapes, les metavers, l’intelligence artificielle ?

Petit aparté, on peut se demander si ces avancées techniques sont toujours synonymes de progrès. Ces technologies sont fabuleuses, mais ce que nous en faisons, parfois moins. Voyez les réseaux sociaux, ils permettent de s’exprimer, mais qui écoute vraiment [3] ?

Sauter dans le bon train

En tant qu’éditeur de logiciels, nous sommes confrontés en permanence à la technologie. Il s’agit parfois de réagir face à l’obsolescence de certaines. Ou, à l’inverse, de réagir face à l’arrivée de nouvelles qui apparaissent disruptives. Ces choix sont très engageants : opter pour une brique technologique nous y lie fortement. Certes, il sera toujours possible de changer, mais à quel coût et en combien de temps ? C’est donc une question que l’on se pose régulièrement : faut-il y aller, ou pas ?

Je me souviens par exemple du passage de Flex à HTML5/JavaScript. Ce n’était pas tant l’éventuelle obsolescence programmée de la technologie qui nous avait fait accélérer, mais que le simple fait d’utiliser Flex nous disqualifiait : « Quoi, vous n’utilisez pas la nouvelle architecture, votre solution est donc nulle ! » Flex était très lié au plugin Flash des navigateurs. Ce fut la chute des dominos : la montée en puissance des « smart phones », l’incompatibilité de Flash avec ceux-ci, la montée en puissance des technologies compatibles, la fin de de Flash et de Flex (du moins directement dans les navigateurs puisque la technologie existe encore). On peut d’ailleurs se demander ce qui fait qu’une technologie perce aux dépens d’une autre ; une chose est certaine, qu’elle soit meilleure ne suffit pas…

Ce qui évolue aussi, c’est la dépendance technologique, qui est de plus en plus importante. Il y a 30 ans, quand nous développions un logiciel, il fallait tout écrire ou presque ; jeune développeur à l’époque, j’avais le sentiment d’être en contrôle de tout. Puis, la complexité des logiciels s’est accrue au fil du temps, en même temps qu’arrivait Internet, l’Open Source, le « cloud ». Aujourd’hui, tous les logiciels que vous employez chaque jour utilisent pléthores briques développées et maintenues par d’autres, partout dans le monde. Cela crée une interdépendance abyssale ! Est-ce bien ou mal, je n’en sais rien !

Technologies et équipes

L’avènement de nouvelles technologies bouleverse aussi les entreprises. On se souvient du modèle « big book [4] » de La Redoute, des 3 Suisses et des autres, acteurs incontournables de la VPC qui semblaient indétrônables. Que le virage fut difficile à prendre ! Toujours la même question face à la nouveauté : faut-il y aller ou pas ?

Cela me fait penser au papier. Comme pour Flex, le papier est devenu obsolète pour certains. C’est encore une fois le grand balancier de l’histoire qui est à l’œuvre et le danger du manichéisme. Certes, on n’utilisera plus le papier dans la communication comme on le faisait il y a 30 ans, mais le papier reste une technologie irremplaçable. Le papier n’a pas besoin de batterie pour fonctionner ni de manuel, encore moins de connexion. Et surtout, je peux le tenir, le sentir, le prêter, etc. N’oublions pas que l’on s’adresse à des êtres humains, faits de chair et d’os [5].

Justement, j’enchaîne sur le récent article de Richard : Petite réflexion sur les appels d’offres . Il y évoque la question des appels d’offres. C’est quelque chose qui me surprend toujours dans ce contexte : c’est à quel point les aspects techniques sont prioritaires. La technologie apparaît ici comme un mirage aveuglant qui apportera la solution à tous les problèmes. Voyez comment cela fut facile pendant la démonstration, on clique sur un bouton et tout se fait tout seul ! Voyez comme l’interface est belle [6], etc. Il me semble qu’on oublie trop facilement qu’un projet, c’est une histoire de femmes et d’hommes. Que peut faire une technologie, aussi formidable soit-elle sans les femmes et les hommes capables de la mettre en place pour le client et capable de la maintenir dans le temps ?

N.B. Et l’appel d’offres fini, on retrouve la réalité avec l’utilisation de technologies anciennes, éprouvées et efficaces, comme au niveau des flux de données.

Écouter les sirènes, ou pas

J’adore la technologie. Je suis tombé dans la marmite de l’informatique dans les années 1980 [7]. (Ma fille a donc raison, je suis un dinosaure !) Et si je dois me positionner sur la courbe de diffusion des nouveaux produits, je suis au tout début ; contrairement à Ulysse, je ne suis pas attaché au mât et les sirènes technologiques ont beau jeu de me séduire [8]

Cela dit, je pense qu’il faut voir toutes ces technologies comme des outils et non comme des finalités en soi, voire comme des arguments marketing (« c’est mieux parce que c’est nouveau ! »). Je crois beaucoup en la technologie quand elle est « au service de », au service du projet par exemple. Et ce qui n’a pas changé dans un projet, encore une fois, c’est qu’il s’agit de faire travailler ensemble des femmes et des hommes.

Vous voulez en savoir plus ? Contactez-nous : nous serons ravis d’échanger.

Jean-Yves Jourdain,
Cofondateur de J2S

1- Imaginez, le premier navigateur WEB date de 1993 seulement (source Wikipedia).

2- Si vous aimez les cacahuètes, il est parfois difficile de ne pas finir le bol, hein ? À ce sujet, lisez Le bug humain de Sébastien Bohler ; vous découvrirez comment nous, êtres humains, sommes programmés pour vouloir en obtenir toujours plus, tout de suite.

3- Or, dans une société, l’échange n’est-il pas une clé ? Voir à ce sujet Le 1 nº436 du 1er mars 2023. Ou bien L’art perdu du papotage : « Quand les gens font la queue à la caisse, ils n’osent plus se parler » .

4- Le dernier gros catalogue des 3 Suisses est paru en 2014, une dizaine d’années qui semblent une éternité… Voir https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/2014/03/18/la-fin-d-une- epoque-3-suisses-abandonne-son-grand-catalogue-435867.html ou sur Wikipedia.

5- Je ne rentre pas ici dans le débat « Est-ce que le papier est écologique ? » Principalement car je ne suis pas spécialiste. Tout ce que je sais est que la papier est recyclable, qu’il permet de maintenir des forêts, que le numérique nécessite des fermes de serveurs qui consomment énormément d’énergie, etc. Bref, tout ce que je sais, c’est que tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir.

6- Ce n’est pas parce que l’interface est belle que la solution est ergonomique…

7-Mon premier ordinateur : le ZX81.

8- Merci à Homère et son odyssée, voir par exemple cette page.